Mort légale au Texas

Nous défendons l'ordre juste, mais comment défendre l'ordre juste quand la peine de mort existe? Quand l'erreur judiciaire, pas si rare que ça, ne peut être réparée? Quand la justice ne permet pas d'examiner un élément non soulevé en cour d'assise initialement? Quand le système judiciaire est raciste, défavorable aux défavorisés, quand procureurs et policiers jouent avec la procédure, quand les juges ont les yeux rivés sur les sondages? C'est le système judiciaire que David R. Dow, avocat défendant des condamnés à mort au Texas depuis plus de vingt ans, décrit dans son dernier livre, "Autobiographie d'une exécution".

Dessin de Snut (2007)

Initialement favorable à la peine de mort, il a changé d'avis en voyant le cynisme du système au Texas, terre d'élection des Bush, liés au pétrole, et d'Halliburton, dont la filiale énergie a été présidée par Dick Cheney.

F.M.

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23 mai 2010

David R. Dow est le survivant d'un monde qu'il essaie lui-même de rayer de la carte. En vain. Avocat texan défendant des condamnés à mort depuis plus de vingt ans, il livre dans un ouvrage saisissant en forme de roman noir, Autobiographie d'une exécution, son quotidien de pénaliste en prise directe avec la réalité la plus sombre et nauséeuse de la justice de son Etat.

Professeur de droit à Houston, où il vit, l'auteur a défendu dans son cabinet d'aide juridique à but non lucratif plus d'une centaine de cas. Des hommes condamnés à mort " parce qu'ils ont des avocats incompétents ou mal payés, et parce que les êtres humains commettent des erreurs ".

Aucun pathos ni sensiblerie dans son propos. Le récit de David R. Dow est sans concession et aussi sec que le bourbon qu'il avale certaines nuits. " Mon but est de sauver des clients, écrit-il, mais c'est un objectif qui échappe à mon contrôle. Le seul contrôle que j'exerce, c'est de décider si je les abandonne ou non. "

Ici s'entremêlent sur un rythme court, haletant, plusieurs histoires de condamnés et autant de tentatives insensées pour enrayer le processus mortifère. L'auteur dit ne pas être Don Quichotte. Mais il ajoute : " Quand on défend des condamnés à mort, il faut constamment se faire des illusions. " Avec une précision presque clinique, il met à nu l'incurie totale de la justice texane. Ce système inique où les tribunaux appliquent une règle implacable : si on ne soulève pas un problème une première fois, devant une cour d'assises, on ne peut plus l'évoquer par la suite. Et puis ceci, au niveau des cours fédérales : " Elles refusent de tenir compte des éléments que les cours d'appel d'Etat n'ont pas examinés auparavant. "

Toute remise en cause de la procédure est exclue, toute mise à l'index de failles dans l'enquête quasi impossible. Ce sont elles pourtant que traquent David R. Dow et ses collaborateurs. Un travail fou, épuisant et moralement dévastateur, dont l'unique but est d'obtenir un sursis face à des juges de cours d'appel " si incompétents que c'en est embarrassant ".

Parfois, le soir, David R. Dow échange quelques mots avec son fils. Un moment de respiration, pudique et réparateur. Mais toujours trop bref. Un jour, il se met d'accord avec une juge pour fixer la date d'exécution en fonction de leurs vacances respectives. Un autre, c'est un confrère qui va au cinéma pendant que son client est exécuté. " On rencontre beaucoup d'avocats merdiques ou fainéants, dit-il, mais beaucoup moins qui reconnaissent qu'ils le sont. " Avec la mort, tout devient relatif. Et d'une noirceur implacable.

David R. Dow était autrefois favorable à la peine capitale. Il reconnaît avoir changé d'avis quand il a appris à quel point le système se moquait de la loi : " Si vous avez des doutes à l'idée de soutenir un système raciste reposant sur l'appartenance de classe, où les procureurs dissimulent les preuves et les policiers mentent allègrement, où les juges décident des exigences de la justice en consultant la dernière enquête d'opinion, alors vous n'avez pas fini de vous poser des questions sur la peine de mort telle qu'elle existe en Amérique. "

D'habitude peu loquaces sur le sujet, les médias américains se sont faits l'écho de la sortie du livre en début d'année. Preuve peut-être supplémentaire qu'il s'agit là d'une oeuvre rare et si personnelle qu'elle bouleverse le lecteur encore plus efficacement qu'un réquisitoire contre les exécutions.

Nicolas Bourcier

Autobiographie d'une exécution, David R. Dow, Flammarion, 274 p., 19 euros