Viviane Reding : "Je suis personnellement convaincue que la Commission n'aura pas d'autre choix que celui d'ouvrir une procédure d'infraction à l'encontre de la France" (vidéo et texte intégraux)

Publié le par DA Paris 15

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Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne, lors de la conférence de presse le 14 septembre 2010 à Bruxelles

Après le vote par le Parlement européen, jeudi 9 septembre 2010, d’une résolution demandant à la France de « suspendre immédiatement toutes les expulsions de Roms » et condamnant une « rhétorique provocatrice et discriminatoire », après les fanfaronnades du gouvernementEric Besson avait déclaré ne pas avoir à se « soumettre à un diktat », car la « France applique scrupuleusement le droit communautaire » (!), le ton est monté à Bruxelles. La Commission, après débat approfondi, a pris la parole à travers sa vice-présidente Viviane Reding, la Commissaire luxembourgeoise à la Justice, aux Droits fondamentaux et à la citoyenneté.

Mme Reding a réalisé une intervention surprise hier lors de la conférence de presse accordée régulièrement par la Commission : la salle était presque vide. Ses mots ont été sévères et durs pour la France, la langue française ne parvenant à retranscrire qu’imparfaitement la fermeté dont elle a fait preuve, et les journalistes ont pu entendre son poing taper sur le pupitre, alors qu’elle martelait « ma patience a des limites, trop c’est trop ».

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Une salle de presse presque vide le 14 septembre 2010...

Deux éléments se trouvent au centre des critiques de la Commission : principalement les actions et le comportement des autorités françaises en France d’une part, avec comme élément révélateur d’autre part la non communication de la circulaire du 5 août 2010 (cliquez ici pour la lire), signée de la main du directeur de cabinet de Brice Hortefeux, et qui stigmatise les Roms ligne après ligne : le mot « Roms »  ou « roms » est cité 8 fois, notamment dans des expression comme « en priorité ceux des Roms ». L’attitude de Pierre Lellouche a également été épinglée, ainsi que la contradiction entre les dires de MM. Besson et Lellouche à Bruxelles et l’action du gouvernement français en France.

Viviane Reding a été très claire : la nouvelle circulaire signée de Brice Hortefeux, qui remplace celle du 5 août,  ne résout rien, il faut que les comportements, attitudes et actions du gouvernement français changent. Bien que les autorités françaises aient « le droit de soumettre dans les prochains jours leurs commentaires sur les nouvelles évolutions », Viviane Reding ne croit pas en la capacité du gouvernement français de changer de comportement dans ce laps de temps. Elle est « personnellement convaincue que la Commission n'aura pas d'autre choix que celui d'ouvrir une procédure d'infraction à l'encontre de la France », pour « application discriminatoire de la Directive sur la libre circulation par la France », ainsi que pour « défaut de transposition par la France des garanties procédurales et matérielles prévues par [cette] Directive ». Deux points qui sont des « valeurs fondamentales » de l’Union Européenne, la Commission étant la « gardienne des Traités de l’Union »La Commission devrait, selon Viviane Reding, finaliser sa position dans les 15 prochains jours.

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La Commission européenne, "gardienne" des traités de l'Union

De fait, la machine judiciaire de l’Union Européenne est déjà enclenchée : si la déclaration de Mme Reding est un avertissement solennel avant action, elle est aussi l’exposé des motifs d’une éventuelle action en justice devant la Cour de Justice de l’Union Européenne, dans le cadre d’un recours en manquement (d’un Etat à ses obligations découlant des traités et du droit dérivé de l’Union). Les recours en manquement se sont multipliés au fil des ans ; dorénavant, la sanction au terme d’une procédure généralement longue peut être la condamnation à remplir ses obligations, et si les obligations de l’Etat membre persistent à ne pas être remplies, l’amende forfaitaire ou l’astreinte calculée. Le cas le plus célèbre pour la France est l’arrêt merluchon de juillet 2005, au terme de 14 ans de procédures, pour pêche de merlu de taille non conforme aux normes européennes : la France a été condamnée à une amende de 20 M€, plus 57 761 250 € d’astreinte par période de 6 mois de non conformité à compter de l’arrêté.

 Sans surprise, la France est sur le podium pour les recours en manquement : elle est sans gloire deuxième après l’Italie de Silvio Berlusconi  (615 recours, soit 18% du total), parmi les 6 membre fondateurs, et parmi les 27, entre 1952 et 2009, avec 389 recours sur 3420 (11,4%). À eux deux, la France et l'Italie représentent près de 30% des recours en manquement depuis 1952. Le 3ème pays est la Grèce (365 recours, 10,7% du total).

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Viviane Reding interrogée par les journalistes français après la conférence de presse du 14 septembre 2010 (image France 2)

Viviane Reding, dans son bureau, face aux journalistes français après sa déclarations, a déclaré : « Je suis très en colère, il s’agit des valeurs fondamentales sur lesquelles depuis la deuxième guerre mondiale, on a construit notre Europe : plus de déportations en masse, on n’expulse pas un groupe ethnique ou un groupe racial, demain peut-être un groupe religieux, ou que sais-je, ça . ne . va . pas. Stop ! ».

Frédérick Moulin

 

Extrait de l'intervention de Viviane Reding (traduction française, BFM TV), vidéo intégrale en fin de texte

 

 

Viviane Reding

Vice-Présidente de la Commission européenne responsable de la Justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté

Déclaration sur l'évolution de la situation concernant les Roms

Bruxelles, le 14 septembre 2010

"La Commission européenne a suivi de très près l'évolution de la situation concernant les Roms en France, au cours des dernières semaines.

J'ai été personnellement choquée par des circonstances qui donnent l'impression que des personnes sont renvoyées d'un Etat membre de l’Union Européenne uniquement parce qu'elles appartiennent à une certaine minorité ethnique. Je pensais que l'Europe ne serait plus le témoin de ce genre de situation après la seconde guerre mondiale.

J'ai très clairement exprimé mes doutes concernant la légalité des mesures françaises, dans ma déclaration publique du 25 août, faite de commun accord avec le Président de la Commission, avec qui j'ai travaillé étroitement sur cette question pendant l'été.

Le 1er septembre dernier, j'ai, présenté avec le commissaire Andor et la commissaire Malmström, une analyse juridique préliminaire des mesures françaises, au Président Barroso et au Collège des commissaires.

Cette analyse préliminaire a souligné, entre autres, que la France serait en violation des lois de l'Union européenne si les mesures prises par les autorités françaises lors de l'application de la Directive sur la libre circulation, ciblaient un groupe particulier de personnes sur base de la nationalité, de la race ou de l'origine ethnique.

Le Collège des commissaires a tenu un débat approfondi sur cette question la semaine dernière à Strasbourg.

Lors d'une réunion formelle avec les ministres français Eric Besson et Pierre Lellouche, la Commission européenne, représentée par la commissaire Malmström et moi-même, a reçu des assurances politiques qu'aucun groupe ethnique spécifique n'avait été ciblé en France. Cela n'a pas permis de dissiper nos doutes.

C'est pourquoi mardi dernier, j'ai aussi envoyé une lettre formelle au ministre français Besson demandant des informations supplémentaires à envoyer rapidement à la Commission.

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Je regrette profondément que les assurances politiques données par deux ministres français mandatés officiellement pour discuter de cette question avec la Commission européenne, sont maintenant ouvertement contredites par une circulaire administrative de ce même gouvernement.

Le rôle de la Commission en tant que gardienne des Traités est rendu extrêmement difficile si nous ne pouvons plus avoir confiance dans les assurances données par deux ministres lors d'une réunion formelle avec deux commissaires et en présence de 15 fonctionnaires de haut niveau de part et d'autre de la table.

Vu l'importance de la situation, il ne s'agit pas d'un affront mineur. Après 11 ans d'expérience à la Commission, je dirais même plus, c'est une honte.

Soyons clairs : la discrimination basée sur l'origine ethnique ou la race, n'a pas de place en Europe. Elle est incompatible avec les valeurs sur lesquelles l'Union européenne est fondée. Les autorités nationales qui discriminent des groupes ethniques lors de l'application du droit de l'Union européenne violent aussi la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, que tous les Etats membres ont signée, y compris la France.

Je trouve donc extrêmement troublant que l'un de nos Etats membres, à travers des actes de son administration, remette en question, de manière aussi grave, les valeurs communes et le droit de l'Union européenne.

Je souhaite aussi exprimer mon désaccord avec les déclarations faites hier par le Secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes mettant en cause le rôle de la Commission européenne en tant que gardienne des Traités. Permettez-moi de rappeler le rôle de la Commission en tant que gardienne des Traités, qui est un des fondements de l'Union européenne – une Union qui existe, non pas par la force, mais à travers le respect des règles de droit adoptées par tous les Etats membres, y compris la France.

Je note que les autorités françaises elles-mêmes semblent prendre conscience que les événements de ce week-end les mettent dans une situation intenable. Je note également qu'hier après-midi, le ministre français de l'Intérieur a signé une nouvelle circulaire éliminant les références à un groupe ethnique spécifique. Nous sommes en train d'en examiner les conséquences juridiques. Il est important que ce ne soient pas seulement les mots qui changent mais aussi le comportement des autorités françaises. Je demande donc aux autorités françaises une explication rapide.

La Commission tiendra compte de l'ensemble des évolutions ainsi que de toute autre documentation pertinente, dans son analyse juridique définitive de la situation. Cette analyse juridique est conduite en étroite coopération par mes services, les services des commissaires Malmström et Andor, ainsi que le Service juridique du Président. Je m'attends à ce qu'elle soit finalisée dans les jours qui viennent.

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Je suis personnellement convaincue que la Commission n'aura pas d'autre choix que celui d'ouvrir une procédure d'infraction à l'encontre de la France, sur la base de deux motifs :

·       le premier : application discriminatoire de la Directive sur la libre circulation par la France ;

·       le second : défaut de transposition par la France des garanties procédurales et matérielles prévues par la Directive sur la libre circulation.

Bien sûr, je donnerai aux autorités françaises le droit de soumettre dans les prochains jours leurs commentaires sur les nouvelles évolutions. Toutefois, soyons clairs, ma patience a des limites, trop c'est trop. [en tapant du poing sur le pupitre]

Aucun Etat membre n'est en droit de s'attendre à un traitement spécial lorsque les valeurs fondamentales et le droit de l'Union européenne sont en jeu. Aujourd'hui cela s'applique à la France. Et cela s'appliquera de la même manière à tout autre Etat membre, grand ou petit, qui serait dans une situation comparable. Vous pouvez compter sur moi. "

 Ci-dessous, vidéo intégrale (ici en anglais, ces mots étant les seuls à faire foi en droit européen) :

 


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