La démocratie participative, une nouvelle facette de la Démocratie

Publié le par DA Paris 15


Par Jean Pierre Guilbert

Lancée par Ségolène Royal en 2007 lors de la campagne présidentielle la « démocratie participative » est depuis mise à toutes les sauces. On ne peut assister à une rencontre, on ne peut participer à une réflexion collective sans que cela devienne un évènement participatif.

Révélateur d'un besoin de collectif par rapport à l'hyper individualisme ambiant la terminologie « démocratie participative » (DP) ne veut plus rien dire et devient un superlatif banal. On ne rit plus: on hurle de rire. On ne débat plus, on fait un débat participatif!

Et pourtant la DP est un concept très pointu qui mérite d'être approfondi  et appliqué avant qu'à force d'être galvaudée et  mal appliquée, on ne la jette aux poubelles de l'Histoire.

 

La DP à travers un exemple simple


Je voudrais, à travers un exemple vécu, tenter d'expliquer ce concept car tel Monsieur Jourdain, je me suis aperçu que j'avais fait de la démocratie participative sans le savoir.

Il remonte aux années 1980. Jeune élu PS de banlieue d'un village de 2000 habitants j'eus en charge l'agrandissement d'un établissement scolaire.  Cette responsabilité me fut dévolue alors qu'à cette époque les élus étaient soupçonnés de favoriser des maîtres d'ouvrages qui, en contrepartie de leur sélection, étaient supposés verser une partie de leur rétribution dans les caisses (noires) de leur parti.

Comment montrer la transparence totale du choix de la municipalité ?

Nous nous  en sommes sortis en proposant de créer un groupe de réflexion regroupant des élus, des enseignants et des parents dont la tâche fut de recenser les besoins de l'école et de les soumettre à trois architectes à l'occasion d'un concours dans lequel participaient quelques élus et une majorité d'enseignants. Les parents d'élève ont participé au recensement des besoins mais ils ont refusé de participer au choix du maître d’œuvre parce que « ce n'était pas de leur responsabilité »! La sélection se porta sur X et le conseil municipal confirma ce choix.

Les travaux d'agrandissement eurent lieu et même si l'isolation phonique de certaines salles laissèrent à désirer, tout le village salua la réalisation et les élus coulèrent des jours heureux.

J'ai médité longuement sur cette expérience qui me fut très profitable par la suite. En effet la décision finale me laissa perplexe. Pourquoi les parents d'élèves ont ils refusé de participer à la sélection ? Pourquoi les enseignants ont ils tous voté pour X alors que les élus penchaient pour Y ? Pourquoi le conseil municipal a t il validé le choix de X ?

Remise en cause de la méthode ? Limite de ce que nous appellerons plus tard  la « démocratie participative » ou bien maladresse dans la méthodologie?

La réponse me fut donnée plus tard car j'ai tenté la même expérience à d'autres occasions.

 

La méthode:


La démarche fut  tâtonnante. Lorsque nous avons proposé aux enseignants et aux parents d'élèves de participer à  la réflexion, nous ne savions pas que nous déboucherions sur un concours ouvert à tous. Donc manque de définition sur la démarche, sur  les participants et sur les objectifs. C'est la raison pour laquelle les parents ont refusé de participer au choix de l'architecte car ils craignaient d'être mêlés aux contestations éternelles dont notre village de Gaulois avait le secret ! (Les enseignants eux se sentaient plus forts car ils appartenaient à un groupe homogène). En fait, il aurait fallu préciser le rôle de proposition de la commission, la décision et la responsabilité revenant au conseil municipal. Devant l'ambiguïté ressentie par tous, le conseil n'a pu qu'entériner le choix de la commission. Sinon c'eut été un scandale !

Sans médire sur le corps enseignant force nous fut de constater que leurs représentants avaient encore moins la connaissance de ce qu'était un projet de construction que les élus ! Ce qui n'est pas peu dire! Leurs critères de sélection n'étaient pas au niveau de l'enjeu !

Ce point est fondamental. Dans toute démarche participative il convient de s'assurer que les participants ont un niveau suffisant de connaissance pour prendre « à égalité » la bonne décision.

C'est ce qu'on appelle la phase d'expertise. Et très souvent l'intervention d'experts, de techniciens  en début  de processus est absolument nécessaire.

Sans doute, aurions nous eu besoin de l'aide d’un architecte ne participant pas au concours pour nous aider par exemple à définir les bons critères de sélection, lesquels auraient pu être rassemblés dans une grille. Cette grille aurait pu  être perfectionnée en attribuant à chaque critère un coefficient proportionnel à l'importance que le groupe lui attribuait ( expérience des architectes dans le domaine scolaire, nombre de réunions de chantier, recommandations etc) .

 

En conclusion, à travers ce petit exemple, il est possible de commencer à définir ce qu'est une démarche participative. Elle a besoin:

- D'être claire. Quel est l'objectif ? Qui participe à la réflexion ? Comment se situe ce groupe par rapport au processus global de la décision :

- D’une phase de mise à niveau. C'est le rôle des experts

- D’une phase délibérative. Cela demande du temps.

- D’une méthode de décision avec la détermination des critères de décision. Décision finale prise le plus souvent, si le processus est bien mené, de façon consensuelle.

- Et, dernière phase, que l'on oublie souvent mais qui est importante si l'on veut progresser, l'analyse critique du processus quelque temps après l'application de la décision.

Selon le nombre des participants ceux ci peuvent être répartis en groupes et les résultats de leurs propositions compilés selon une méthodologie convenue et transparente (exemple: world café).

 

On voit bien que le fait d'impliquer les parties prenantes (ici enseignants et parents d'élèves) dans la décision a contribué largement à son adoption.

On voit aussi que loin de supprimer le rôle des experts celui ci est essentiel.

La démarche ci dessus reste constante dans les formes plus évoluées et complexes de la DP.

 

Des exemples plus complexes


Il en est ainsi dans l'exemple que constitue l'application du principe de précaution.

Le champ d'application du principe de précaution est vaste: alimentaire, sanitaire, consommation, pollution, traitement des déchets, environnement des déchets, environnement industriel, faune, flore, ressources naturelles, sécurité...Ce principe constitue une complexité déroutante pour le politique ou le gestionnaire et ceux ci ont besoin des experts scientifiques, techniques et économiques pour définir, analyser et évaluer et graduer les risques potentiels.

De plus,  le politique qui est confronté à une opinion et à une société civile exigeantes dans leurs attentes de sécurité a besoin de trouver les moyens démocratiques adéquats pour faire accepter par le corps social le juste niveau de risque entre la sécurité absolue, source de sclérose et l'innovation totale. C'est pour avoir mal ajusté ce risque que le gouvernement se retrouve avec des stocks pléthoriques en vaccins contre la grippe A !

Mais la prise de décision par le politique ne peut être l'expression désordonnée de tous les points de vue. Elle doit  être l'aboutissement d'un processus admis par tous avec ses règles, ses contraintes et ses hièrarchies. D'où la nécessité d'organiser à côté de l'élu et dans le but de l'éclairer  ces rencontres de « spécialistes » et de« profanes » dont la mission est de lui proposer des réponses dans les domaines scientifiques et techniques de plus en plus complexes et que lui seul ne peut plus appréhender. Il faut pour cela que les participants se sentent dans un climat de respect mutuel. Il importe aussi que ceux qui n'y participent pas se reconnaissent chez ceux qui y participent.

 

Nous ne traiterons pas ici de la légitimité des participants au débat. Cela va  du tirage au sort des personnes à la sélection d'organisations dont l'expression  représente les courants d'opinions significatifs. La réponse doit être appropriée à la spécificité de chacun des espaces de débat avec le  souci constant de permettre l'expression de tous les points de vue.

 

Force nous est de constater que contrairement à d'autres pays comme les pays du nord de l'Europe, la France a pris du retard  dans ce domaine et  on ne peut  s'empêcher de penser que la distance qui est maintenue dans notre pays entre les élus et les citoyens n'est pas sans liaison avec ce retard. Pensons aux fastes de la république, comparons Matignon au 10 Downing Street! Ségolène Royal l'a très bien compris et son comportement proche des citoyens perturbe encore nombre des élus et des citoyens qui n'ont pas dépassé la forme monarchique du respect.

Il en est de même dans les entreprises où encore trop souvent, même si cela évolue dans le bon sens, patrons et salariés ont un comportement de type « lutte des classes » contrairement aux entreprises anglo saxones ou le climat est  plus « coopératif». La démocratie participative a dans le domaine de l'entreprise moderne aussi un grand rôle à jouer.

 

En conclusion, face à la complexité des questions qui sont posées à l'humanité (énergie, agriculture, OGM, changements climatiques, nanotechnologies...) la Démocratie a besoin à côté de son expression traditionnelle qui est la démocratie représentative (la démocratie par délégation) d'une autre forme d'expression dite « participative » ou « délibérative » comme disent les américains. Loin de s'opposer, les deux expressions sont complémentaires. L'une ne peut fonctionner sans l'autre.

La facette participative de la démocratie est nouvelle. A moins de s'égarer vers des dérives dramatiques (manipulation de l'opinion), elle a besoin de conditions extrêmement rigoureuses ( délimitation des sujets, des participants...) qui font que sa mise en oeuvre est couteuse en temps . Mais le gain est  considérable en terme de qualité de décision et  d'adoption par les « usagers ». Ce qui permet au bout du compte de regagner largement le temps initialement consommé.

Nous ajouterons que cette démarche est nouvelle, et qu'il convient d'avoir face à son expérimentation  la prudence et l'humilité du chercheur.
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J
<br /> alors là je suis bluffée par la qualité technique du blog ! Bravo et mille bravos !<br /> <br /> <br />
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